Le Carillon
Histoire et patrimoine d’Ennery
Association le carillon d’Ennery
Appel aux dons
Pour l’amélioration et la préservation du patrimoine historique d’Ennery
Après une période de sommeil, l’association se revivifie pour continuer cette démarche.
Le premier projet, mené en collaboration avec la commune consiste à la réalisation d’une copie du monument du mausolée de Victor-Thérèse Charpentier afin de la repositionner à son emplacement historique dans l’église Saint-Aubin. Cette sculpture réalisée en 1781 par Antoine HOUDON est actuellement visible au musée du Louvre. Le montant de la réalisation de cette copie est estimée à 50 000€, nous avons besoin de tous.
Le second projet concerne un programme de restauration de l’église Saint-Aubin (éléments de façades, porche, vitraux, …).
Nous vous remercions d’avance pour votre soutien.
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La vie de Victor-Thérèse Charpentier d’Ennery
Le comte Victor-Thérèse Charpentier d’Ennery, enfant et seigneur du village, homme de guerre, gouverneur aux colonies françaises d’Amérique.
Voici quelques années, la municipalité d’Ennery organisait une belle rencontre avec les deux autres cités qui portent le même toponyme : Ennery en Moselle (2000 âmes) et Ennery en Haïti (dans le nord-ouest de l’île, 30 000 âmes).
Les échanges intéressants qu’elle occasionna permirent de mieux se connaître et de tisser des liens d’amitié.
Cet article apporte un éclairage nouveau sur le personnage auquel nous devons l’existence de la commune haïtienne, celui qui fut un enfant du village et seigneur des lieux, le troisième et le dernier du nom : le comte Victor-Thérèse Charpentier d’Ennery.
Cet homme fut suffisamment célèbre de son vivant pour que Voltaire, à sa mort, ait déclaré qu’elle constituait une calamité nationale.
Aujourd’hui, son nom est presque tombé dans l’oubli.
A Ennery, le souvenir demeure grâce à une rue qui porte son nom ; au splendide château grand Siècle bâti par son grand-père et dont il fut le troisième occupant, château en passe d’être magnifiquement restauré par son actuel propriétaire ; ses armoiries, apparaissant sur la litre funéraire ornant les piliers de l’église Saint-Aubin ; une lettre autographe acquise récemment par la mairie, relatant la tragédie familiale durant laquelle sa femme faillit mourir et où il perdit l’enfant qu’elle portait ; un petit coffret en plomb, enfoui dans un mur de l’église, qui contient le coeur momifié du comte. Enfin, dans cette même église, nous devrions pouvoir admirer le beau mausolée en marbre blanc, sculpté par le grand Houdon, voulu par la veuve et la soeur du défunt afin d’accueillir le reliquaire.
Après bien des tribulations, ce mausolée est exposé au Louvre, au sein du département des sculptures françaises, où l’on peut contempler sa beauté tragique et son expressivité.
Il y a peu de temps encore, nous ne connaissions la vie du comte d’Ennery que par quelques écrits, se réduisant le plus souvent à de courts
paragraphes. La recherche approfondie que nous avons conduite personnellement, notamment sur des archives inédites détenues par les Archives Nationales Outre-mer, à Aix-en-Provence, nous permet aujourd’hui de préciser l’action et la personnalité de cet homme, qui s’avère être hors
du commun.
Le détail de nos travaux a été publié en début d’année par la Société Historique et Archéologique de Pontoise, du Val d’Oise et du Vexin dans le
tome annuel de ses mémoires (Année 2022, tome CIV, pages 71 à 210). Le lecteur intéressé y trouvera toutes les références et une bibliographie
détaillée.
Les lignes suivantes en présentent un résumé synthétique.
Victor-Thérèse Charpentier d’Ennery fut d’abord un homme de guerre de grande valeur.
Il naît le 24 mars 1732 à Paris et est ondoyé en l’église Saint-Aubin d’Ennery, le lendemain. Agé de 14 ans et orphelin de père, il s’engage dans l’armée royale. Il rejoint le corps des officiers comme enseigne (aspirant) et connaît ses premiers combats dès l’année suivante. En 1756, alors que la guerre de Sept ans éclate, il est capitaine. Il participe à presque toutes les batailles et se fait remarquer par sa bravoure et la justesse de ses choix tactiques ; il sait en particulier disposer parfaitement les pièces d’artillerie, économisant la vie de ses hommes et occasionnant des pertes sévères à l’ennemi.
Sept ans plus tard, ses qualités et sa réussite lui valent que Louis XV le nomme maréchal de camp (général) et élève son fief de comté à marquisat. En outre, la reine d’Autriche le fait comte du Saint-Empire, en reconnaissance des services rendus. C’est une distinction rare pour un officier français. Durant toute sa vie, Ennery portera avec fierté ce titre de comte, acquis sur les champs de bataille européens.
Il fut aussi un gouverneur des colonies hors pair, digne d’être cité en exemple par son action et son sens moral.
Le traité de paix qui clôture la guerre de Sept ans est signé en 1763. Ennery ne peut rester inactif. Il obtient d’aller servir aux colonies françaises d’Amérique comme gouverneur général et lieutenant du roi de la Martinique et de Sainte-Lucie.
Sur place, un lieutenant du roi tient lieu de roi, même s’il est placé sous la tutelle du secrétariat à la Marine, dont il dépend. Le gouverneur a presque tous les pouvoirs ; seules les finances et la justice lui échappent en partie.
A son arrivée à la Martinique, en 1765, il découvre une situation qui l’effare : la colonie a été fort mal administrée.
Le ravitaillement est incertain, la sécurité n’est pas assurée, les fortifications ont été délaissées, les canons n’ont même pas été installés, les chemins royaux sont souvent impraticables, de nombreux maîtres maltraitent leurs esclaves, les galériens sont nombreux à s’échapper de la
chaîne, les abus de tout genre abondent…
Animé par une énergie qui semble inépuisable et par une volonté inflexible, sachant analyser promptement les situations et décider très vite, contrôlant, vérifiant, encourageant, récompensant, punissant, toujours sur le terrain, il bâtit, corrige, redresse, innove. Il renvoie les fonctionnaires par trop incompétents ou véreux, les prêtres indignes. Aucun sujet ne le rebute. A une vitesse étonnante, il s’intéresse à tout, fédère habilement autour de lui, surmonte les obstacles nombreux qu’il rencontre sur sa route : incendies, cyclones, raz-de-marée, maladies tropicales meurtrières,
finances trop souvent insuffisantes, planteurs avides, cabales versaillaises…
Les milices sont remises sur pied, le fort Bourbon au prix d’efforts considérables sort de terre et protégera la Martinique, la sécurité est assurée, les esclaves mieux traités par leurs maîtres, Sainte-Lucie, naguère exsangue, devient une colonie prospère. Toutefois, la santé du gouverneur se dégrade d’une manière inquiétante. Il doit rentrer quelques mois en métropole afin de se rétablir.
A son retour dans les Antilles, ses responsabilités sont élargies : il devient aussi gouverneur et lieutenant général de la Guadeloupe et des îles françaises avoisinantes, dont il va se hâter d’améliorer la sécurité et le fonctionnement.Mais en 1770, trop malade, il demande à rentrer définitivement sur ses terres. A son départ, il est loué et regretté par les colons.
Durant les quatre années qui suivent, Victor-Thérèse vit à Ennery ; il gère son fief avec la plus grande attention ; celui-ci est l’un des plus importants de la région. C’est alors que le comte perd le fils que portait sa femme, accident dont nous avons gardé la mémoire grâce à la lettre recueillie par la mairie et évoquée plus haut.
Un coup de théâtre survient en 1775 : le jeune roi Louis XVI, monté sur le trône quelques mois plus tôt, le mande à Versailles. Le souverain reçoit lui-même le comte d’Ennery. Il lui demande de reprendre du service pour une année afin d’aller gouverner Saint-Domingue, la colonie française la plus florissante et la plus riche des Caraïbes. Celle-ci est en danger. Les colonies anglaises d’Amérique affichent en effet leur volonté de prendre leur indépendance et l’Angleterre menace de rentrer en guerre contre la France si celle-ci soutient les Insurgents.
Saint -Domingue constituerait alors une cible de choix.
Le jeune souverain estime que le talent d’Ennery, tel qu’il a été observé aux Antilles, fera merveille à Saint-Domingue. De surcroît, la réputation militaire du comte, connue à l’étranger, devrait inciter les Anglais à la plus grande prudence.
Ennery se plie au désir du roi. Il s’embarque bientôt pour Saint-Domingue, quittant son château pour ne plus jamais le revoir.
Sur place, fidèle à lui-même, il agit avec promptitude et efficacité. En priorité il améliore les défenses de l’île et veille à ce que la colonie puisse être convenablement ravitaillée, malgré les blocus que Londres met progressivement en place.
Très vite, il règle un litige ancien qui existait avec l’Espagne, souveraine de la partie orientale de l’île : la frontière entre les deux pays est mal définie ce qui est source de nombreux litiges. La question est traitée tambour battant et un traité officiel, qui délimite les possessions de chacun, est signé entre les deux nations ; c’est Ennery en personne qui le paraphera au nom du roi de France. En reconnaissance de cette action, le Conseil supérieur de l’île donne le nom d’Ennery à un bourg qui appartenait jusqu’alors à l’Espagne.
Les mois se sont écoulés et la menace d’une invasion anglaise se précise davantage. Le roi demande à Ennery de servir une année supplémentaire.
Fin novembre 1776, Ennery tombe gravement malade. Les médecins qui s’activent autour de lui sont impuissants. Le 13 décembre, il succombe, emporté par la typhoïde. A la demande du comte, son coeur est envoyé à Ennery, dans un coffret en plomb, dans l’église Saint-Aubin, où il repose encore.
En conclusion, le dépouillement des archives du XVIIIe siècle auquel nous avons procédé : édits, décisions, mémoires, correspondances échangées avec le ministre et les quelques écrits laissés par nos prédécesseurs nous ont permis de reconstituer l’itinéraire en grande partie oublié d’un enfant d’Ennery, seigneur des lieux.
Personnage haut en couleur, célèbre pour ses colères mais prompt à reconnaître ses torts, il s’est illustré sur les champs de bataille européens par sa bravoure, sa lucidité et son sens tactique. En outre, il a montré aux colonies une qualité de service exceptionnelle, marquée par une faculté d’analyse rapide, un jugement sûr, une décision prompte, une aptitude élevée à fédérer les hommes autour de lui, une volonté inflexible, le tout mêlé à une bienveillance profonde et à une grande probité morale.
Sans aucun doute pour nous, la figure du comte Victor-Thérèse Charpentier d’Ennery mérite de sortir de l’oubli quasi général dans lequel il est tombé. Le principal édile d’Ennery, monsieur Matthieu Laurent, auquel nous avons présenté nos recherches, en est lui-même convaincu et prépare des actions concrètes.
Michel DE LISI